Conditionnement

Enseignement écris Laos au cours du mois d’Octobre 2017

Avant d’arriver au Laos, je discutais avec un ami qui avait tenté l’été dernier d’escalader le mont Blanc. Je me disais que chacun d’entre nous peut partir de là où il est à gravir le mont Blanc. On peut partir d’un embouteillage d’une banlieue parisienne ou du Laos. Le but est le même mais les modalités de voyage sont différentes. De la même façon, sur le chemin spirituel chacun démarre du point où il se trouve. Ce point est différent pour chacun car nous percevons notre vie au travers d’un filtre. Ce filtre est créé par ce que nous sommes, c’est-à-dire nos expériences passées, notre culture, notre religion, notre milieu social, et surtout notre Kamma. Pour résumer, quand nous sommes face à une situation, nous réagissons avec notre conditionnement. Ce n’est pas quelque chose de mauvais ou de bon mais c’est quelque chose qui doit être reconnu. Nous devons être conscient à chaque fois que nous sommes face à un conditionnement. On pourrait dire que c’est une réaction chimique ! Entre deux éléments, l’élément extérieur (l’événement dont nous sommes témoins) et l’élément intérieur (le fruit de ce que nous sommes en cet instant).

Notre façon de réagir dans l’instant, face à une situation va créer les conditions pour un nouveau Kamma, c’est quelque chose que nous devons toujours garder à l’esprit. Ce qui signifie que le présent c’est-à-dire ce que nous sommes en train de faire en ce moment détermine notre futur.

Dans cette compréhension, nous remarquons que nous sommes toujours plus enclins à nous diriger vers les choses qui nous ressemblent et que nous aimons, que vers les choses qui nous éloignent et que nous détestons. C’est naturel et assez frappant de voir cet automatisme lorsque l’on y prête attention. Pour ma part, je m’amuse parfois en allant sur des groupes de discussion qui sont hostiles au bouddhisme pour voir et comprendre comment je réagis face à cela. Ce qui me pousse à sortir de ma zone de confort pour pouvoir me remettre en question. Il y a un cas assez intéressant en ce moment, c’est l’histoire qui se passe entre le gouvernement (bouddhiste) Birmans et les Rohingas. Je ressens par exemple une forme de mal-être parce que mon esprit ne veut pas s’identifier avec ce que je lis dans la presse qui va à l’encontre des valeurs du bouddhisme et de ma pratique en particulier.

Comme vous le savez, quand nous sommes face à certaines situations nous produisons une multitude d’idées, de pensées, d’imaginations. Les réactions qui se produisent dans notre esprit face à un événement sont extrêmement rapide. L’esprit est inondé de choses que nous pensons et que nous reconnaissons au même moment. Il y a encore plus de réaction lorsque nous sommes face à quelque chose qui est nouveau ou diffèrent. Toutes ces réactions sont ce que nous appelons en pali Sanna ou la perception. Qui apparait avec les sensations ou Vedāna. Ces sensations peuvent être agréables, désagréables ou neutres. C’est la réponse à ce que nous entendons, goûtons, voyons etc. Ce processus est tellement rapide que nous n’avons pas le temps d’analyser ce qui se passe, que nous sommes déjà en train de réagir. Cela se traduit souvent par un mélange de sensations agréables, désagréables et neutres.

Nous devons être capable de nous concentrer sur le point d’entré entre le monde extérieur et le monde intérieur pour voir toutes les réactions qui apparaissent et cela ne peut être fait que par un esprit entrainé. Être capable de rester focalisé sur ce point de contact précis pour observer les réactions qui apparaissent et qui disparaissent.

Il est évident que pour un esprit qui n’est pas entraîné cela est  « mission impossible » ! Dans ce cas-là, la personne sera attirée automatiquement vers l’extérieur et s’accrochera à l’événement qui est en train de se passer. Pour un esprit entraîner, à l’inverse, nous observons à l’intérieur de nous-mêmes pour voir ce qui se passe. Si par exemple, nous entrons en contact avec un objet agréable que nous avons déjà reconnu comme agréable dans le passé, nous sommes presque sûre  de ressentir du plaisir de nouveau parce que nous avons été conditionné. Donc, dans ce cas, notre réaction n’est pas dû à l’objet mais à notre mémoire par rapport à cet objet. Nous devons identifier la différence entre l’objet et la réaction que nous avons avec cet objet. Sans agir sous l’influence de notre conditionnement ou de nos actions.

La tendance naturelle de l’esprit est d’aller vers le jugement. C’est juste ou c’est injuste. C’est bon ou c’est mauvais. Si nous ne sommes pas conscients de notre habitude à juger automatiquement. Nous créons un jugement par habitude. Sans intelligence, sans vouloir voir la réalité telle qu’elle est. Le jugement est si automatique, si rapide que l’on pense sincèrement que c’est la vérité. Donc, on simplifie en disant : « j’ai raison et tu as tort ». Nous ne voyons pas la différence avec intelligence en prenant cette différence juste pour ce qu’elle est : « une différence ». À cause de notre conditionnement on saute sur un jugement. L’intelligence serait de se dire : « pourquoi les choses sont comme cela ? Pourquoi cette personne me parle comme cela ? »

Il y a quelques années de cela, j’avais accompagné un groupe de moines thaïlandais à l’aéroport à Charles-de-Gaulle car ils devaient réceptionner un moine important en provenance de Bangkok. Et comme personne n’avait de voiture pour les ramener de l’aéroport au temple je m’étais proposé de les conduire. Lorsque nous attendions à l’aéroport notre groupe de moines ne manquait pas de faire son effet ! Je m’étais assis un peu à l’écart d’eux. Je me surpris en train d’écouter les commentaires des passants qui les observaient. C’était assez singulier car la plupart des personnes réagissaient avec amusement ou sympathie. Mais certains d’entre eux avaient des réflexions assez acerbes. Ce qui m’étonna le plus, c’était le jugement des gens, l’automatisme qui se dégageaient sans véritablement chercher à comprendre qui était ces hommes, habillés en moine.

Nous devons être capable de voir ce processus dans notre pratique de l’attention. Le fait de pratiquer Samatha (concentration) nous permet de calmer l’esprit et par ce calme de créer cet espace. Pour comprendre comment le processus de réaction se produit ou comment ne pas réagir automatiquement par conditionnement. L’un des chemins est de rester ouvert à tout ce qui apparaît dans notre champ de conscience sans apporter notre jugement. Certains moines parlent de l’esprit du débutant c’est-à-dire un esprit vierge. Il y a cette fameuse histoire, ou le maître sert du thé dans la tasse du disciple, il continue et continue à verser le thé même quand la tasse déborde. Le disciple dit : « maitre, arrêtez de verser du thé, la tasse est déjà trop remplie ! », le maître répond : « cette tasse est comme ton esprit, il déborde de connaissances, de jugements alors comment pour ai-je y ajouter quelque chose ! »

Notre esprit a un sens pré-construit de ce que nous sommes et de comment sont les autres. « Ce que je suis », créé une frontière dans mon esprit. Je crée la différence entre ce que je pense être et ce que je pense que vous êtes. Parce que nous avons cette idée ferme de ce que « je suis » et ce que « vous êtes ». Il n’y a que dans l’attention que nous pouvons modifier notre réaction pour aller au-delà de cette frontière, pour dépasser cette limite.

Notre esprit est très malin, il trouve sans cesse des systèmes pour détourner notre sens du discernement. L’un de ces trucs, est de penser que tout le monde devraient se ressembler. Qu’il n’y a pas de différence entre chaque être humain. C’est une erreur et nous faisons souvent cette erreur par paresse intellectuelle. Ceci est caractérisé par cette tendance où l’on essaie de penser que toutes les religions se ressemblent. Dans une certaine mesure, on peut trouver des points de concordances, je ne nie pas cela. Mais ce qui me semble plus intéressant, c’est de voir et d’accepter les différences qui enrichissent chaque religion n’ont pas pour créer une compétition mais pour s’enrichir de chaque différence. Il y a par exemple un point de concordance dans toutes religions que l’on peut résumé de la manière suivante : « faites-le bien, ne faites pas le mal ». Ce que toutes les religions essayent de développer pour que chacun d’entre nous soit un meilleur être humain. Qu’est-ce que je peux faire pour aider les autres ? Qu’est-ce que je peux faire pour m’aider moi-même. Vivre une meilleure vie ? Ce sont des questions qui me semble un point de convergence pour toutes les religions. Donc, on peut dire qu’il y a des points de convergence et également des points de différences ceci est accepter la réalité.

Il y a un deux points unique que nous trouvons dans l’enseignement du bouddha. Le premier c’est le développement de la sagesse ou Panna en pali dont l’outil est la méditation. Le deuxième point c’est que nous sommes chacun responsable de notre propre vie ou que nous sommes responsable du résultat de nos actions (le Kamma). La question ici n’est pas de savoir qui a raison et qui a tort. La question est de savoir comment nous pouvons nous libérer de la souffrance et du stress.

Pour finir, souvenez-vous que notre vécu du présent est toujours conditionné par nos expériences antérieures. En d’autres mots, le passé colore le présent. Le présent va déterminer notre futur. Donc, la question essentielle que nous devons nous poser dans le présent, est : qu’est-ce que je fais en ce moment qui va avoir une conséquence sur mon futur.

Je pense que vouloir agir sur le monde sans être transformé soi-même ne peut mener ni au bonheur durable ni profond. On pourrait dire que l’action sur le monde est souhaitable tandis que la transformation intérieure est indispensable.

Par Olivier Sayag

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